Jour 5

Titus, ou la mélancolie faite chien

Pendant que Yoda et le chat sauvage se remettent de leurs émotions, le rythme ne faiblit pas, à la clinique. Covid oblige, pas plus de deux personnes en salle d’attente, alors maîtres et animaux patientent dehors. A l’intérieur, personne n’a le temps de faire une pause café. Entre les informations à saisir sur l’ordi, les salles de consultation à nettoyer entre deux animaux, les appels, les commandes de croquettes, la surveillance des opérés du jour, les soins aux animaux qui ont été soignés, et qui attendent qu’on vienne les récupérer… ASV et vétos travaillent à flux tendus, et comme tout se déroule dans une bonne humeur contagieuse, je ne vois pas le temps passer.

Il y a plein d’animaux sympas, mais parfois, l’un d’entre eux vous touche particulièrement. Voici par exemple Titus. Titus a été adopté il y a peu par une dynamique sexagénaire, bénévole dans une association d’aide aux animaux. Elle s’inquiète : à chaque fois que son nouveau compagnon tente de manger autre chose que de la soupe, il crie de douleur, et ne parvient pas à avaler quoi que ce soit. On craint une rage de dents. Titus est un grand et vieux chien, je trouve qu’il ressemble au chien des Aristochats, sauf qu’il a l’oreille en berne, et l’air désespéré de l’animal au bord du gouffre. D’ailleurs, il se traîne avec une telle apathie sur la table de consultation, déjà baissée au max, qu’on l’entendrait presque soupirer de malheur. Oreille basse, œil tristounet, Titus est à deux doigts de me faire pleurer. Sa maîtresse s’inquiète.

– Je trouve qu’il a l’air déprimé, docteur !

Je me mords les lèvres pour ne pas crier que : bien sûr que ce pauvre chien est déprimé ! Mais j’ai promis de ne pas me mêler des consultations. Le docteur Chatry, lui, reste impassible. Il ausculte le vieux Titus sans un mot, regarde dans sa gueule, dans ses oreilles, tâte ses côtes…

– Non non, il n’est pas déprimé, annonce-t’il après quelques minutes d’observation silencieuse.

C’est plus une question de grosse fatigue que de vraie tristesse, visiblement. Un p’tit refroidissement, un gros coup de mou, après tout, Titus n’est plus tout jeune et n’a pas toujours eu une vie facile, à en croire sa nouvelle maîtresse. Sa maîtresse qui, elle, n’a pas promis de ne pas parler pendant les consultations 😉

Titus a droit à une piqûre pour le requinquer, puis il peut redescendre de la table, toujours au ralenti. Avant de quitter la clinique, il vomira dans la salle d’attente, comme ça, presque nonchalamment, comme il semble tout faire, dans sa vie de chien. Le véto conseille de bien l’observer pendant les jours qui viennent. Titus quitte la clinique en traînant ses grosses papattes…

Dans le prochain épisode : Petit camaïeu d’impressions variées