Bibliographie

L’enfant des naufragés

Lisa Hanh Dung Phan, 15 ans, a grandi en France. Mais entre une mère boat-people dépressive et un père vietnamien absent, pas évident de comprendre le monde qui l’entoure, et d’affirmer son identité…

PRIX MEDITERRANEE DES LYCEENS 2017

« Et bien c’est comme ça Lisa, c’est comme ça l’Algérie! Penser à mon pays, c’est comme souffrir d’une jambe dont on m’aurait amputée. »

(Page 110)

EXTRAIT

Je me suis toujours demandé pourquoi je ne suis encore jamais allée au Vietnam.

Au collège, je pense être la seule à n’être jamais allée « au bled », à n’avoir jamais vu le pays dont sont originaires mes parents et grands-parents, et tous mes aïeux et aïeux d’aïeux.

Bon, d’accord: le Vietnam, c’est un peu plus loin de Paris, géographiquement parlant, que le Maroc ou l’Algérie. Mais beaucoup de filles et de garçons dont les familles sont venues d’Afrique ont, eux, déjà vu au moins une fois dans leur vie le Sénégal, la Côte d’Ivoire, ou je ne sais quel pays du continent noir. Et je SAIS de source sûre que la plupart des copines vietnamiennes de ma mère retournent plus ou moins régulièrement rendre visite à ce qu’il leur reste de famille, là-bas, dans ce pays qu’elles ont toutes fui.

Mais ma mère, jamais. Pour autant que je sache, pour autant que je me souvienne, et pour autant que je puisse en déduire de ce qu’elle ne dit pas, ma mère n’a jamais remis les pieds au Vietnam depuis qu’elle est montée dans la barque, il y a des millions d’années.

Pourquoi? Ou plutôt: pourquoi pas? Je n’en ai aucune idée. Aucune. Pas plus que je ne sais si elle a, et donc si j’ai, moi, un quelconque bout de famille là-bas. Officiellement, tout le monde est mort.

Quand j’écris « je me suis souvent demandé » c’est exactement ça: je me le suis souvent demandé à moi, parce que pour ce qui est de le demander à ma mère…

Quand j’étais petite, ça m’était égal. Je veux dire, mon seul pays, c’était ma mère, et même si une lointaine planète appelée père gravitait vaguement autour de nous, mon univers tout entier se résumait à notre deux-pièces, la cage d’escalier et les quelques boutiques du quartier. Et vu le quartier, j’aurais tout à fait pu croire que j’étais au Vietnam, si je m’étais posé la question.

Je n’ai pas de souvenirs de la maternelle, pourtant, j’imagine que j’ai dû y aller. Ma mère m’a toujours dit qu’elle m’avait mise à l’école « comme ta fameuse République nous y oblige ».

Sauf que la République, elle n’oblige pas les enfants à aller en maternelle. Elle les y encourage, mais elle ne les y oblige pas. Alors je ne sais pas si j’y suis allée, ou pas.

Pour ma mère, mon passé se résume à « quand tu étais petite ». Sauf que je ne sais pas quand j’ai cessé de l’être, à ses yeux. Sa mémoire est aussi ingérable que tout le reste. Ses réponses à mes questions varient selon des paramètres mystérieux, dont je n’ai jamais réussi à saisir la nature. Alors un jour, après avoir recommencé à l’interroger sur toutes ces choses de la vie sur lesquelles les enfants interrogent leurs parents, j’ai cessé de lui en poser, des questions. Ses réponses me perturbaient trop.

Quant à Kill Bill…

Je n’ai aucune idée de ce que serait sa réaction si je lui demandais pourquoi je ne suis encore jamais allée au Vietnam. Mais c’est peut-être parce que l’idée de lui poser la question ne peut même me traverser l’esprit. Ou plutôt si: l’idée peut traverser mon esprit, mais plutôt comme un courant d’air peut traverser une pièce. Ça rentre, pfffffff, et ça ressort. Parce que dans les faits, c’est absolument inenvisageable. C’est absolument inenvisageable d’avoir la moindre conversation intime ou personnelle avec Kill Bill en dehors de ses interrogatoires bizarres sur le chemin du retour du collège.

Avec mon père, rien d’autre que la distance n’est envisageable. Et avec ma mère, rien d’autre que l’incontrôlable n’est possible. Avec de tels parents, pas étonnant que pour l’instant, mon existence se résume à une suite sans fin de doutes, de malaises et d’angoisses.


Quinqua, et alors ?


Soyons clairs: vieillir n’amuse personne. Mais pour les femmes, la cinquantaine représente un cap tout particulier. Entre Botox et ménopause, comment devenir « une femme entre deux âges » en toute sérénité? Un essai (et une tentative perso!)

« La vue baisse, mais malheureusement, aucun autre sens ne prend la relève. A part, quand on a du bol, celui de l’humour. »

(page 74)

EXTRAIT

Parfois, le cours des événements s’accélère.

Un matin, vous vous réveillez et AAAAAAAARGH! C’est quoi cette chose, là?! C’est HORRIBLE! Oui, c’est vrai, c’est horrible. Et c’est votre bras.

Plus précisément: c’est votre épaule. Comme toujours, vous avez dormi sur le dos avec un bras replié au-dessus de la tête. Il y a peu, vos amants trouvaient charmante cette façon que vous aviez de replier vos bras au-dessus de votre tête, dans votre sommeil. Attendrissante, même. Oui mais voilà, à partir d’un certain âge cette même position a pour conséquences ce que vous constatez ce matin, les yeux fixés sur votre épaule, le souffle coupé de terreur: pliée sous cet angle, votre épaule, elle est ridée. Que dis-je, elle est fripée.

Confiante, vous espérez que cette vision monstrueuse n’est qu’un mauvais rêve. Un espoir qui ne dure que quelques secondes car après avoir cligné plusieurs fois des yeux, le regard rivé sur vous-même, vous êtes obligée de vous rendre à l’évidence: cette épaule est à vous, tout comme les plis de peau qui l’entourent.

Vous mettez un moment à vous remettre de cette découverte. Puis vous vous dites que quelque part, cette épaule ridée est la suite logique de ce visage ridé. La continuation évidente de l’inexorable cheminement vers le troisième âge. Là, c’est juste une nouvelle illusion qui vient de mourir, celle de pouvoir circonscrire le vieillissement à votre visage. Vous ne pourrez pas. Cette épaule en est la preuve.

Comme vous êtes néanmoins d’une nature optimiste et que, jusqu’alors, vous avez réagi avec une bonne dose de philosophie (version fataliste) à l’étalement des signes du temps sur cou et visage, vous vous dites qu’après tout, ça peut encore aller. Que ce n’est pas si grave. Que le reste du corps, lui… Que cette vision cauchemardesque pourrait être évitée tout simplement en changeant de position. Vous vous promettez de vous entraîner pour dormir dorénavant sur le ventre. Avec un sursaut de panique, vous réalisez que plus jamais vous ne pourrez permettre à un un amant fougueux de vous attacher au lit, la vue de cette épaule pouvant être résolument débandante même pour le plus vaillant des hommes. Et puis, dans un haussement résigné desdites épaules, vous vous dites que parti comme c’est, vous aurez bien du bol si à votre âge vous en trouvez encore, des amants fougueux en mesure de bander.


Par la main

Huit mois que Ben n’a pas vu sa famille. Huit mois depuis cet accident qui l’a laissé anéanti, entre chagrin et culpabilité. Cet été il retrouve Max, son petit frère. Celui-ci saura-t’il aider son grand frère à surmonter la première épreuve de sa vie d’homme?

« Nous nous sommes connus avant même d’avoir une ébauche de mémoire. Nos parents étaient amis. Je ne peux pas raconter ma rencontre avec Hélène parce qu’elle a toujours fait partie de ma vie. »

(page 28)

EXTRAIT

Face à la mer, je prends une grande bouffée d’air et me concentre sur mon petit frère qui joue un peu plus loin, près de l’eau. Il fait ce que font tous les gosses, je crois. Ramasser des coquillages, les entasser, creuser un grand trou et regarder l’eau y rentrer. Faire des gros tas de sable plus ou moins difformes et les appeler « château ». Il a l’air très concentré. De temps et temps, il relève la tête vers moi, m’adresse un sourire, puis reprend ses jeux solitaires. Plusieurs fois, d’autres enfants viennent vers lui, de là où je suis je ne peux pas les entendre, mais j’imagine qu’ils lui demandent s’il veut jouer avec eux. Mon petit frère les regarde, sérieux, puis secoue la tête sans un mot et continue ses pâtés de sable. Même à la plage, Max a l’air épuisé. A la lumière du soleil, ses cernes d’enfants ont des allures de valoches de vieux. « Valoches », c’est un terme qu’utilisaient mes parents pour parler de mon grand-père. Aujourd’hui, je saisis le sens de l’image. Ces « valoches » sont trop lourdes pour le fin visage de mon frère. Taches noires sur transparence, la tristesse du regard pèse sur ses esquisses de sourire. C’est à cause de moi que mon petit frère a des yeux de vieillard. Petit bonhomme, solitaire et sérieux.